SUBLUNAIRES
Emmanuelle Lequeux
Est-ce un plateau de cinéma abandonné, et auquel une âme inquiète serait venu redonner pleine lumière, en pleine nuit ?
Les photographies nocturnes de Laurent Hopp semblent en tout cas témoigner d’une scène pas encore née, ou déjà jouée,
dont il ne reste que l’aura, ou le pressentiment. Rien ne se passe en tout cas, ou ne se passe plus. Et nul être humain pour
en donner récit. Nul indice, non plus, pour donner prise sur cette réalité. Prises au fil de ses voyages et se prolongeant au
gré de ses nuits, ces images se dépouillent de tout signe vernaculaire pour construire une série aux limites de l’irréel. Une
piscine bizarrement allumée se ponctue de sa forme jumelle, empêtrée dans l’obscurité. Un téléphone surgit de l’ombre
comme un signe abstrait, ou une tour de télévision de la forêt. Ni soleil ni étoile ni lune… La lumière est ici un comble
d’artifice : néon de restaurant, lampadaires embrouillardés, lueurs de la ville se heurtant à un ciel lourd. Si bien qu’elle
donne à la nature, omniprésente dans ces vues pas réellement urbaines, une allure tout aussi factice. La profondeur des
noirs lui sert d’écrin jusqu’à envahir parfois l’image dans sa quasi-totalité. Ne se réveille alors qu’un souvenir d’une réalité
difficilement déchiffrable, que l’on peine à ne pas croire manipulée. Pourtant, ces lumières ont beau palpiter du rouge le
plus irréel, ou du plus fluo bleu, elles ne naissent ni de filtre ni de manipulations informatiques : c’est bien dans une ville
quotidienne qu’elles se nichent. Mais peu savent s’arrêter à leur appel.
INSTALLATIONS
Emmanuelle Lequeux
En parallèle à son activité de photographe, Laurent Hopp s’affronte de manière plus directe encore à l’espace, développant
une pratique d’intervention in situ qui refuse à se ranger dans les catégories traditionnelles. Ni installations ni sculptures ni
objets, les oeuvres qui naissent de sa rencontre avec un lieu jouent sur de légers déplacements, qui déjouent les centres de
gravité et créent des hiatus dans les conventions de l’espace. L’intervention de l’artiste est toujours légère, jamais
grandiloquente : et sa présence, l’humble étrangeté de sa présence, se révèle sans violence. Il s’agit simplement de
perturber en douceur la normalité du lieu ; ou de lui dessiner des filigranes, qui révèlent au grand jour ses structures
profondes. L’ensemble pourrait ressembler à un manuel d’origami : quand une simple feuille s’avère porteuse de mille
formes. Parfois, son oeuvre tord et « twiste » l’espace, projetant sur les murs les néons du plafond, dans une asymétrie en
miroir. Ou bien elle souligne ses lignes de force en les faisant voyager, et déroute ses perspectives. Ou encore elle le
déploie et le déplie, dessinant la vitrine d’un magasin de part et d’autre de sa réalité, soudain mise sens dessus-dessous ;
renvoyant, une autre fois, une voie ferrée entre les quatre murs d’un centre d’art, en ombre chinoise. Autant d’interventions
discrètes, effectuées à coup de quelques lignes ou d’un déplacement. Elles ne font pas naître un trouble soudain mais
travaillent comme une lente mise à nu. Un discret travail de sape, qui ramène au plan quand on se croyait dans une
tri-dimensionnelle architecture ; qui renvoie au dessin quand on pensait traverser un espace ; qui propose une lévitation,
plutôt qu’un mur. Dans l’escalier de la résidence de la Synagogue de Delme, où il a passé quelques semaines,
Laurent Hopp a démonté et déplacé la rampe métallique de l’escalier, dans un geste aussi simple que déstabilisant.
Cette intervention s’intitule Shorebreak, du nom de ces vagues de plage qui s’ourlent sous les planches des surfeurs.
Comme dans toutes ses installations, il y réagit à une forme donnée, contraignante et en constante évolution, par tout un
jeu de tensions et d’équilibres qui lui font écho et la « corrigent ». Ce titre à lui seul résume combien la rencontre d’un corps
avec un espace est à la fois brisure et mariage.
OFFSHORE N°20
Emmanuelle Lequeux
Le doute plane… Ce monde est-il le nôtre, ou celui d’un réalisateur noctambule ? La scène d’un théâtre oublié, qui brillerait
à nouveau des feux de sa rampe, ou le fragment d’une réalité sans fard ? Par ses photographies nocturnes, qui privilégient
les lieux vacants à qui seuls les lumières publiques rendent vie, Laurent Hopp donne naissance à un univers de failles offertes
à l’imaginaire. Il se passe peu, si peu de choses dans ses images : et pourtant semble pouvoir advenir, comme si quelqu’un avait
préparé à l’avance une scène, un horizon ouvert à tous les possibles. Rien d’étonnant à cela : tout aussi plasticien que photographe,
le jeune homme a appris à apprivoiser tous les espèces d’espaces, et ses dernières créations sont des jeux d’équilibre qui
se jouent de l’apesanteur. Même tension dans ses images, que nul être humain ni indice ne permet de replacer sur un quelconque
planisphère : ensemble, elles écrivent le générique de nos villes quand elles sont prises d’un grand sommeil. Profonds jusqu’à
en menacer l’image, les noirs servent d’écrin aux lueurs artificielles qui traversent cette série intitulée Sublunaire.
Poétiquement géométriques, ses compositions sont comme traversées d’artificielles aurores boréales. Une piscine allumée
comme un ovni effondré sur la terre; une route à la brume laiteuse, une autre comme une cicatrice dans le paysage ; un parking où
les lampadaires se prennent pour la lune... Ailleurs, l’écran d’un drive-in intitulé Sunset vient lacérer l’obscurité. D’autres fois,
ce sont les puissants flashs d’un stade qui viennent dessiner une partition de notes rouges dans le ciel. Papyrus ou ficus, seule
la végétation filtre la lumière comme sait le faire aussi la brume. Car jamais l’artiste n’intervient sur ces photographies, à l’aide de
manipulations numériques ou d’éclairages rapportés : simplement, il sait être attentif à la réalité quand elle se brouille, quand elle
s’enfonce dans l’absence. Et le moindre bout de rue devient ainsi la promesse d’un récit. D’un film noir, de préférence.